mercredi 14 novembre 2012

Pauline Sales - En travaux

André est français ; Svetlana est Biélorusse. Ils travaillent tous les deux dans le bâtiment. Il l'embauche en pensant que c'est un homme. Ils vont se côtoyer, se parler, se toucher, se blesser, se méprendre plus que se comprendre mais leur rencontre fera des étincelles.


Ce livre est vraiment étrange. Etrange et fascinant. J'ai eu le sentiment de ne pas tout comprendre tant il charrie de sentiments divers. J'ai aimé la façon dont Svetlana joue avec les mots et malmène la langue française pour finalement en démonter les mécanismes. Elle ouvre un nouvel espace dans la langue et dans la vie d'André : un espace de possibles jusque-là insoupçonnés et qui le perturbe profondément. Il y a une poésie touchante dans l'écriture de Pauline Sales. Je pense que l'émotion doit affleurer très joliment sur scène. Et en même temps, on sent une dureté, quelque chose qui résiste. Malgré la richesse de la langue ou justement à cause d'elle, André et Svetlana sont deux êtres en interaction, désespérément humains et qui se font tantôt du bien, tantôt du mal. Leur histoire a la rugosité de la vie même et porte en elle des blessures et des espoirs. Après s'être laissés porter par la vague, on sort de ce texte, rejetés un peu plus loin sur la grève. Toujours un peu plus tristes, toujours un peu plus vivants. C'est rare de savoir figer la beauté, il faut donc profiter de cette pépite rare.


5
Voyage Intérieur

ANDRE _ Elle se promène à l'intérieur de moi avec sa lampe allumée au milieu du front et elle avance. Elle marche à travers mes veines, mes tendons, mes muscles comme au milieu de la forêt vierge. Elle se baisse pour passer sous un nerf. Elle escalade une artère. Elle descend en rappel le long de ma gorge. Elle passe sous mes amygdales atrophiées - j'ai été opéré enfant, bronchites à répétition -, elle se faufile dans la trachée avançant coude après coude. Elle s'assoit sur mon plexus, fait une pause. Elle joint les mains au-dessus d'une veine et se désaltère à mon sang. Mon corps est d'une obscurité absolue, totale. Seuls certains stores de grande qualité peuvent te garantir une telle opacité. Elle n'a que sa lumière pour la guider et je n'ai que sa lumière pour me voir de l'intérieur. Elle passe sous les arceaux de ma cage thoracique.Elle se laisse aller de tout son poids sur la texture en ballon de mes poumons. Comme un trampoline, elle se soulève et se rabaisse au rythme de ma respiration. Sa lampe frontale dessine sur l'intérieur de ma peau des ombres qui prennent la forme d'animaux préhistoriques. Et puis la lampe éclaire le bout de viande puissant et ramassé, courtaud et violent, la pompe qui irrigue toute l'affaire, le coeur. Le bruit est assourdissant comme sur un barrage hydraulique. Son visage reste dans l'ombre. Je ne peux pas voir son visage, ni entendre sa respiration, je ne vois que mon coeur, qui accomplit son travail. Répétitif. Violent. Assourdissant.

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