samedi 5 mai 2012

Annie Saumont - Le tapis du salon

Je ne suis pas particulièrement friande de nouvelles, je trouve que c'est un exercice périlleux pour les auteurs et que le résultat est souvent décevant. Mais il existe pourtant des pépites : j'ai lu la chronique de Clara sur ce recueil et il aurait été difficile après cela de ne pas se laisser tenter.
J'ai appris que cette auteure écrivait exclusivement des nouvelles, un genre dans lequel elle excelle : elle a su me faire entrer dans un univers semblable à nul autre. Les récits sont souvent très courts, parfois obscurs... on apprend à apprivoiser le style au fil des pages même si certaines histoires m'ont tout de même échappé. C'est assez difficile d'en parler car elle a une manière d'écrire unique : au début, on se sent surpris, voire réticent, et puis petit à petit, c'est comme une toile d'araignée qui se referme sur le lecteur. En apnée, on est partagé entre le désir de savourer chaque phrase et celui, impatient, de découvrir ce qui arrive au personnage cabossé qui semble nous mener en bateau depuis la première ligne. Car Annie Saumont nous entraîne dans un voyage mystérieux à la découverte d'une nature humaine qui flirte avec la folie, la solitude, la souffrance et le mal. Mais le tout est raconté le plus souvent avec une innocence désarmante qui rend la chute encore plus terrible. Au lecteur de démêler l'écheveau du vrai et du faux, de savourer la polyphonie de certains textes, entre lyrisme et cynisme. C'est un recueil à la mélodie envoûtante qu'il faut déguster de la première à la dernière page, comme une nourriture étrange et délicieuse. Cela m'a un peu fait penser à "Macario", une nouvelle remarquable de Juan Rulfo qui m'avait plu pour les mêmes raisons. Ce qui est sûr, c'est que je suis ravie d'avoir découvert une auteure de nouvelles française aussi talentueuse et je vais suivre ce qu'elle a fait de plus près.

Pour vous faire une idée, voilà le début de "Falaises", l'un des textes que j'ai préférés :

Chaque jour il allait se baigner. Il prenait le sentier des douaniers dans le soleil ou la brume. Il sifflotait, léger, portant sous le blue-jean et le caban de toile un slip de bain rouge et une chemise jaune. Ou bien un slip fauve, un tee-shirt bariolé. Ou encore - Mais qu'importe. Au bout du chemin, il montait parmi les rochers, grimpait entre deux blocs de granit couverts de mousse.

Les falaises. Il avait coutume de plonger des falaises à l'heure où la mer était haute. Il lisait les heures de marée vers le tableau des pêcheries. Son métier ? Surveillant des côtes. Occasionnellement, poète.

Ce matin-là. Il avait vu dans le journal l'annonce d'un concours de poésie. Concours national. Premier prix : le tour du monde. En un mois. Avec des arrêts fréquents au bord de l'eau. Au bord d'un fleuve ou d'une rivière. Au bord d'une énorme piscine dans un hôtel luxueux à 3000 euros la chambre. Mais surtout au bord de la mer. C'était le Printemps des Poètes, organisé par les villes maritimes. Les villes où gronde la tourmente.

LE VENT. Le sujet du poème. Parce que le vent battait les côtes de ce pays. Il en avait déjà une première strophe.

Vent égrenant les lavandes
Lavandières au vent vivant
Vent derrière et vent devant
Filles marchant sur la lande
Et voulant revivre un avant


Refrain d'un poème qui serait une chanson :

Vent droit vent de revers
Vendôme et Vancouver
Ventre-saint-gris diable vauvert
Tu as mis ton pull à l'envers


Il habitait une maisonnette à la limite des sables. Seul. Il aimait la mer le vent la poésie. Dans cette région la bourrasque est sauvage. Dès le mois d'avril il se baignait chaque jour. Après le bain un souffle inouï lui tenait lieu de serviette et le fouettait jusqu'à le rendre sec. Le rendre heureux.

3 commentaires:

  1. Annie Saumont est LA grande dame de la nouvelle !

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  2. Perso, j'en garde un souvenir un peu ambivalent, même si Annie Saumont a sa réputation.

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  3. Clara : eh oui, je me range à ce verdict.
    DF : J'ai mis du temps à me faire à ce style mais j'ai été conquise par ces histoires si singulières et fortes.

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