dimanche 6 mai 2012

Angélique Villeneuve - Un territoire

Et encore une perle découverte chez Clara :


Ce livre commence de manière étrange. Une femme qui n'est pas nommée recueille un chat : ces deux êtres esseulés s'apprivoisent. La femme semble craindre que le Fils ou la Fille fasse du mal à cet animal. Elle mène une vie misérable, préparant les repas et lavant le linge de ces enfants devenus grands et qui se montrent hostiles à son égard. Elle dort sur un matelas humide à même le sol. Pourtant elle ne semble pas affectée outre mesure par son sort. Elle prend même du plaisir à la répétition des tâches qui l'occupent au quotidien. Et c'est par le biais de l'écriture que l'auteure redonne à son héroïne une forme de dignité ; les mots délimitent le territoire de son existence et lui permettent de s'ouvrir peu à peu. On apprend ainsi progressivement pourquoi elle est si isolée, on découvrira au fil des pages ce qui l'a menée ici. Comme un peintre donnant vie à son tableau, Angélique Villeneuve nous rend familière cette atmosphère oppressante, cette vie au ralenti qui puise son sens dans le souvenir. Nul sentiment de pathos ou d'horreur ne se dégage de ces pages au contenu pourtant sordide ; l'innocence de l'héroïne nous donne à entrevoir les événements qui ont chamboulé son existence et il s'en dégage une étonnante résignation malgré tout empreinte de nostalgie. J'ai aimé cette écriture délicate, cette atmosphère suggestive et la manière dont les mots nous emportent tout en retenue vers une forme d'espoir.

Maintenant ils doivent avoir fini. Elle rince le bol dans lequel elle vient de picorer un reste de haricots blancs, l'essuie. Le Garçon appelle.
Il ne dit jamais son nom.
Ce qu'il crie n'est pas un mot. Il la crie, elle, et pas elle exactement, mais ce qu'elle transporte, ce qu'elle peut faire, sa force, son mouvement.
Les mots et même leur ton ne la blessent plus depuis longtemps. Rien des enfants ne vient plus perforer sa poitrine. Ils croient la dominer, pourtant. Ils s'imaginent que sous leurs yeux, elle se recroqueville, courant de droite à gauche à la façon d'une musaraigne, dans un espace délimité par leurs bras, leurs corps arqués. Ils ignorent tout de ce qu'elle est, à l'intérieur de ces limites. Lui inventent un cœur haché qui n'existe pas.

3 commentaires:

  1. angélique villeneuve10 mai 2012 à 09:00

    merci Violaine de votre billet, découvert ce matin. Voilà de quoi me mettre de belle humeur pour toute la journée!
    à bientôt
    angélique villeneuve

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  2. Clara : merci encore, je louperais de jolies découvertes sans toi. ;-)

    Angélique Villeneuve : merci pour votre passage. C'est un plaisir d'évoquer des livres qui nous touchent. Je vous relirai avec plaisir.

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